[Interview] Yasmine Kasbi évoque pour Educadis l’univers des serious games

Publié le 08/12/2014 à 10:47

Yasmine Kasbi est formatrice multimédia, spécialiste reconnue des serious games et auteure d’un ouvrage de référence sur le sujet. Elle anime en outre un blog hébergé par le groupe seriousgame.be, spécialiste du serious game en Belgique francophone.

Yasmine a répondu aux questions d’Educadis sur les enjeux des serious games dans l’Education nationale et la formation professionnelle. 

 

Vous êtes la spécialiste reconnue du serious game; quelle est votre formation, et d’où vient votre intérêt particulièrement précis pour cet outil numérique ?

 

Je suis formatrice multimédia, et dans ce cadre j’utilise les serious games, que ce soit avec des adultes ou des enfants – mon public est très varié. J’ai découvert il y a quelques années le terme « serious games ». Ces deux termes m’ont interpellée par leur totale opposition. Véritable oxymore, j’ai découvert plusieurs applications intéressantes via ma veille quotidienne  et il me paraissait intéressant de partager ces découvertes pour leurs aspects pédagogiques innovants. J’ai donc créé un blog sur le sujet, lequel a rejoint le groupe SeriousGame.be.

 

Le phénomène des serious games n’est pas nouveau, mais bénéficie depuis peu d’une visibilité accrue ; comment expliquez-vous cet engouement ?

 

C’est comme un effet boule de neige. Il a suffi que quelques personnes s’y intéressent au départ et partagent leur expérience positive pour éveiller l’intérêt des autres. Une autre raison provient du changement des mentalités, qui évoluent avec les nouvelles technologies, et qui permettent une meilleure vision de ce que l’on peut connaître et utiliser du jeu vidéo.

 

Le concept des serious games appliqués à l’Education nationale pourrait sembler particulièrement audacieux ; les exemples de réussites se multiplient pourtant. Quels sont les intérêts éducatifs de cet outil auprès des plus jeunes ?

 

Les utilisateurs sont actifs devant leur ordinateur, et non passifs. Les serious games provoquent une motivation beaucoup plus accrue, et l’apprentissage devient un vrai plaisir. Il n’y a pas à suivre des leçons et réaliser des exercices assez rébarbatifs. D’autre part les enfants avancent à leur propre rythme, puisque le niveau scolaire n’est jamais uniforme. La possibilité d’être acteur de sa propre formation représente un formidable atout.

L’aspect important, c’est que les enfants ne sont pas pénalisés dans les serious games. Au contraire, ils sont encouragés à recommencer pour réussir en ayant l’opportunité de faire des choix, et disposent au fur et à mesure de gains selon leur progression dans le jeu. Ces gains suscitent ainsi l’envie d’aller plus loin, et donc d’apprendre encore plus. Enfin, les enfants se retrouvent dans des mondes fantastiques et idylliques, dont ils incarnent souvent le héros, chose particulièrement stimulante.

 

Les serious games s’insinuent également dans l’éducation supérieure, avec par exemple l’IFP School qui propose un « MOOC Game » intégrant ce type de logiciel. En quoi les serious games sont-ils utiles au niveau supérieur ?

 

Il est prouvé, selon des études, que les personnes qui jouent réussissent mieux. Lorsque l’on joue, le plaisir du jeu procure un dépassement, un oubli de soi important. On peut ainsi aller beaucoup plus loin, en exploitant pleinement ses capacités et sa motivation. Le fait de considérer l’apprentissage comme un jeu permet de s’y impliquer beaucoup plus, par intérêt et par curiosité. Le plaisir éprouvé supprime la routine de l’apprentissage classique.

Le jeu fait partie de la culture universelle. Tout le monde aime jouer. Le joueur semble plus heureux et arrive à se concentrer plus facilement, il est donc plus productif. Le jeu est malheureusement absent de l’éducation après l’école primaire, perçu à tort comme sans intérêt dans l’enseignement secondaire. Au contraire, le jeu devrait être remis au goût du jour pour permettre aux élèves et aux adultes de mieux s’épanouir.

Jane McGonigal, aujourd’hui designer à l’Institut du Futur, nous a présenté un mémoire très intéressant en étudiant les geeks du jeu vidéo. Que leur apporte le jeu au détriment de la vie réelle ? La réponse est simple, dans un jeu, on se sent capable de tout, on ose tout parce qu’on n’a rien à perdre. De plus, on se voit confier des tâches en nous donnant la possibilité de réussir. A contrario, dans la vie réelle, un jeune diplômé n’aura pas cette opportunité.

Le jeu permet de soumettre des situations concrètes et des cas pratiques tout en usant de l’irréel et qui dit irréel, dit capacité de se dépasser. On ose tout dans un jeu car on n’a rien à perdre. Très important également, le sérieux offre la possibilité de se modifier, de se surpasser.

 

Les serious games sont peut-être désormais plus connus dans leur utilisation pour la formation professionnelle et le marketing ; quels en sont les enjeux dans l’apprentissage et le monde de l’entreprise ?

 

Les entreprises et sociétés de marketing ont des moyens financiers beaucoup plus importants que le monde éducatif, mais ne sont néanmoins pas moins connus dans ce dernier.

Ils sont également très utilisés dans les domaines de l’écologie et de la santé et l’on a vu apparaître quelques sociétés de conception spécialisées dans un domaine, comme par exemple, le groupe Interaction pour la santé. Le domaine culturel et touristique est, lui aussi, en pleine effervescence avec l’arrivée des tablettes numériques, de la réalité augmentée et l’impression 3D.

Il n’y a pas plus de domaines privilégiés que d’autres, il y a juste plus de moyens dans certains que dans d’autres.

 

Le concept des politicalgames (« jeux engagés ») semble quelque peu éloigné de l’apprentissage, et difficile à percevoir. Pourriez-vous l’éclaircir, et donner quelques exemples ?

 

Eloignés, je ne pense pas, au contraire, puisqu’ils permettent notamment d’intéresser les jeunes à la politique et de mieux leur faire comprendre son fonctionnement. C’est vrai qu’il y en a encore très peu en France et en Belgique. Les plus marquants seraient « Primaires à gauche » pour la France, qui invite le joueur à se mettre dans la peau d’un candidat et JK Adventures, pour la Belgique, pour une campagne électorale d’un politicien.

Les politicalgames sont plus répandus aux Etats-Unis et répartis en deux types de jeux : les jeux informatifs, créés par les institutions, et les jeux militants, où le citoyen fait connaître son avis et milite pour une cause sérieuse.

La société la plus connue dans cette spécialité est Molleindustria, une entreprise italienne qui dénonce les faits d’actualité, comme le massacre d’animaux pour leur fourrure, la qualité de la nourriture produite par les grosses chaînes alimentaires, ou encore les enfants engagés dans les conflits au Proche-Orient.

Cette catégorie de jeu qu’est le PoliticalGame est particulier dans le sens où nombre d’entre eux ne permettent ni de gagner, ni de perdre, mais ont pour objectif de susciter la réflexion, de faire passer un message porteur et marquant, par le biais d’un outil ludique.

 

Le gouvernement français, dans la dynamique du très médiatique « grand plan numérique pour l’Ecole de la République », semble s’intéresser aux serious games. Croyez-vous à une officialisation du concept dans les prochaines années ?

 

Oui, je le pense, en tous cas, je l’espère, mais dans le sens large de gamification. Le gouvernement français a déjà débloqué des subsides par le passé et il le fera encore. Même sans forcément passer par la création de serious game, la gamification en général serait une bonne chose. « Gamifier » une classe pourrait ainsi faire évoluer l’école.

Par exemple, les contrôles ne seraient plus sanctionnés par des notes mais useraient du badging au même titre que la plateforme Khan Academy, déjà très prisée dans certains pays.

Dans l’immédiat les nouvelles technologies ne sont pas encore assez présentes dans l’éducation. Des écoles sont toujours en sérieux manque et requièrent la présence de matériel informatique. Les outils auteurs ont aussi leur place et sont un moyen non seulement de détourner les problèmes financiers que coûte un SG mais permettent également le développement créatif des élèves. On pourrait imaginer un niveau de difficulté de jeu à créer sur la matière acquise l’année précédente.

 

 

Le MOOC est alternativement annoncé comme dépassé ou en constante évolution, avec la « deuxième génération de MOOCs» ; quel est le futur du serious game ?

 

Pour moi le MOOC n’est pas dépassé. Les fausses annonces sont légions, au même titre que pour le serious game, décrié ou encensé selon les sources. Il est au contraire en constante évolution, on parle d’ailleurs de Moocgame, ces Moocs qui intègrent un SG, comme c’est le cas de celui de l’IFPSchool. L’apparition des tablettes, de la 3D et de la réalité augmentée et virtuelle ne font qu’accroître les possibilités d’usage du SG dans de nombreuses disciplines. Autant pour les Moocs que les SG, nous sommes en pleine évolution, voire révolution.

 

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