[Interview] Olivier Quinet pour Educadis : une certaine idée de l’enseignement numérique

Publié le 22/12/2014 à 10:17

Olivier Quinet est professeur d’histoire-géographie au collège Jean Rostand (Montpon-Ménestérol, Dordogne). Partisan du développement de l’enseignement numérique, il pratique couramment la pédagogie de la classe inversée, et utilise intensivement les tablettes numériques avec ses élèves.

Olivier a répondu aux questions d’Educadis sur sa pratique de la classe inversée et sa vision de l’enseignement numérique en France.

 

Le principe de la pédagogie inversée date à présent de plusieurs années mais commence seulement à devenir un peu plus populaire en France, grâce notamment à la traduction française de la Khan Academy en septembre dernier. Quelle est votre pratique personnelle de la classe inversée, et d’après votre expérience quels en sont les avantages ?

           

Je la pratique au quotidien, et dans toutes mes classes ; c’est, pour moi, devenu une évidence, et je ne me vois pas du tout revenir en arrière. Elle me permet de mettre en place des pédagogies actives avec mes élèves. J’ai d’autre part constaté un renforcement des acquis des connaissances, et des savoir-faire, auprès de mes élèves. D’après mon bilan effectué l’année dernière, le résultat est visible sur 80% des élèves. Sur les 20% restant, la méthode fonctionne beaucoup moins bien ; il s’agit généralement d’élèves en grande difficulté. Ce constat se retrouve dans toutes les classes, dans tous les niveaux et dans toutes les matières. (Pour ces derniers, je suis en train de mettre en place une pédagogie différenciée afin de les accompagner au mieux).

Les avantages concrets de la classe inversée sont nombreux. Les élèves arrivent en classe avec des connaissances, qu’ils peuvent réinvestir directement dans les activités que je leur propose, cela renforce les apprentissages. Ils ne découvrent pas le sujet et en fonction de leurs réponses au quiz sur la vidéo, je peux moduler mes groupes de travail. La vidéo devient une ressource en classe, qu'ils peuvent consulter. Ils savent ce qu'ils vont y trouver.

 

Comment réagissent vos élèves à cette innovation ? En tant que génération Y, sont-ils intéressés par le concept, voir prédisposés ?

 

Les élèves réagissent plutôt bien, et sont même favorables au principe de la classe inversée. La difficulté réside dans cet impératif : ils doivent absolument faire le travail avant de venir en classe. Je suis dans un collège rural, qui aurait pu être classé en ZEP il y a quelques années, avec un certain nombre de difficultés ; dans ce cas précis, la classe inversée peut représenter une difficulté. Pour certains de mes élèves le travail à la maison est inexistant, et n’a pas même de sens. Une fois rentrés à la maison, ceux-ci sont englués dans un grand nombre de difficultés de tous types. Le principe de la classe inversée étant de visionner les capsules avant de venir en cours, il peut y avoir un blocage. Je leur propose donc de venir dans ma salle faire ce travail quand ils le peuvent.

A l’inverse, les très bons élèves adhèrent remarquablement la classe inversée. Cependant, le constat est général : quoique l’on propose aux meilleurs élèves, ils réussissent très bien. L’impact le plus visible de la classe inversée se situe sur les élèves moyens, qui eux, ont le plus progressé. Ils adorent utiliser de nouvelles technologies. C'est les parents qui sont un peu plus réticents, certains ne voient pas d’intérêt pédagogique dans les outils numériques. Parfois des élèves me disent qu’ils n’ont pas pu travailler, après avoir été privés d’ordinateur. Pour cette catégorie de parents, l’outil informatique est encore perçu comme un pur outil de loisirs. 

 

En quoi l’histoire-géographie est-elle potentiellement mieux adaptée à l’enseignement numérique ?

 

Je pense que le numérique nous ouvre des sources, notamment l’image et la vidéo, ce qui pour l’histoire du 20ème siècle est absolument essentiel. Internet est une banque de données et de connaissances ; l’histoire-géographique est une matière de connaissances. Le numérique est à la fois une chance extraordinaire pour l’histoire et aussi un risque terrible si l’on ne s’en empare pas. Si on n’investit pas le net comme étant une source de connaissances et si on n’apprend pas aux élèves à s’en servir, nous n’avons plus, nous enseignants, de légitimité. Si on ne s’empare pas du numérique, celui-ci va nous submerger. Par exemple en histoire, il n’y a plus d’intérêt d’apprendre par cœur les dates de règnes de Louis XIV (1643 – 1715), puisqu’elles sont immédiatement disponibles sur smartphones. Par contre, il devient essentiel de savoir pourquoi ces dates sont importantes et savoir comment et où les chercher en étant certain de la validité du renseignement.

Wikipédia est un autre exemple emblématique. Je suis totalement opposé au dénigrement à l’encontre de cette encyclopédie partagée. Je l’utilise régulièrement pour préparer mes cours, et mes élèves l’utilisent constamment. Si je ne leur apprends pas à en faire usage, ils effectuent un simple copier-coller qui n’a aucun intérêt. On râle contre Wikipédia, mais encore faut-il prendre le temps d’apprendre aux élèves à l’utiliser.  Cette encyclopédie a désormais à peu près autant d’erreurs que la Britannica ou l’Universalis. Les erreurs sont corrigées rapidement, avec tout le processus de correction ; en tant que professeur d’histoire c’est extraordinaire, on voit comment une pensée se développe et s’enrichit, on peut suivre les débats, les corrections internes.  Pour ma part j’invite mes élèves à plutôt consulter Vikidia, qui propose un format plus léger et succinct, mieux adapté à des 9 – 13 ans.

 

brended learning

 

Ressentez-vous un attrait partagé parmi vos collègues, ou constituez-vous une exception ? Comprenez-vous les éventuelles reluctances ?

 

Je ne suis pas une exception. Je suis dans un collège très bien équipé, et même si nous n’avons pas encore accès à la fibre, l’usage du numérique est courant. Nous avons trois salles informatiques, des vidéo projecteurs et des tableaux numériques dans les salles. Mais l’outil numérique est encore très utilisé comme une pédagogie frontale : mes collègues, de ce que je vois, manipulent cet outil, et seulement eux. Personnellement, je souhaite que les élèves prennent en main le numérique. Je dispose actuellement de seize tablettes, que les élèves manipulent eux-mêmes. Je pense que contrairement à l’ordinateur, les tablettes vont vraiment faire entrer le numérique à l’école. Elles sont plus souples d'utilisation, plus rapide et suffisent amplement à l'utilisation régulière que l'on fait du numérique. 

Hormis cette différence de conception de l’outil numérique, dans le principe même de l’utilisation, je ne perçois pas de réticence de la part de mes collègues. Dans mon collège nous avons cette culture du numérique que je viens de décrire, et qui facilite les choses. Il peut y avoir en revanche une frilosité à l’encontre des tablettes, qui donnent une forte autonomie à l’élève et mettent ainsi potentiellement le professeur en danger, s’il ne les maîtrise pas.

 

D’où vient votre attrait pour le numérique ? Avez-vous bénéficié d’une formation professionnelle ?

           

Le numérique m’a toujours énormément intéressé. J’ai découvert internet avec passion lorsque j’ai commencé à enseigner en 2000. En ce qui concerne la formation professionnelle pour le numérique, je n’en ai quasiment reçue aucune. C’est un vrai problème ; peu de formations existent. Personnellement, je me suis formé parce que j’aimais cela. Dans notre académie, les formations sont trop ponctuelles. Mes collègues sont passionnés parce qu’ils apprennent, mais aucun suivi n’est prodigué, ce qui leur fait oublier ce qu’ils ont appris. D’autre part, le manque de moyens de formation est assez criant dans ce domaine.

Il faut néanmoins admettre que la pédagogie numérique est exigeante. La classe inversée est certes fabuleuse, mais je n’ai jamais autant travaillé depuis le début de ma carrière. Cela demande un travail considérable. Par exemple, une séquence de sept heures de travail de classe inversée me demande en amont douze heures de préparation.

 

Depuis la dernière rentrée, il n’a jamais été autant question d’enseignement numérique dans les médias, suites aux annonces à répétition d’un « grand plan numérique pour l’Ecole de la République ». Que pensez-vous de ce projet, récemment en partie dévoilé par François Hollande ?

 

J’y suis très favorable ; l’idée de pouvoir doter tous les collégiens de 5ème de tablettes numériques me plaît énormément. J’utilise moi-même massivement cet outil avec mes élèves, donc je ne peux qu’être ravi par la nouvelle. Après, comme d’habitude, tout dépend de la manière dont les choses seront faites. Si l’on déverse des tonnes de matériels auprès des élèves et des enseignants sans les former, ça va courir à l’échec. En formation je vois bien les réticences de mes collègues, pas sur le fond mais sur la forme : l'utilisation de tels outils au quotidien nécessite de réfléchir à sa pratique, à son positionnement dans la classe, à la transmission des connaissances. Si l’on n’accepte pas d’y réfléchir avant, c’est juste un outil de plus, peu accessible.            

Le numérique, oui, mais avec les moyens humaines nécessaires pour accompagner les enseignants. Il faut que les tablettes deviennent un outil de travail, de consultation et d’acquisition de connaissances. J’espère vraiment que cette belle idée ne sera pas qu’un simple effet d’annonce.

 

Est-ce que le futur de l’Education nationale passe par l’intégration complète du numérique, comme la classe inversée, ou doit-il persister une mixité avec les classes « classiques » ?

 

Au sein de toute classe, il doit y avoir la mixité. J’aimerais que toutes les classes soient équipées en numérique, puisque de toute façon, le numérique est l’avenir. Au XVe siècle, on critiquait le livre, en voulant conserver uniquement le manuscrit, la plume et le vélin. Il s’agit dans les deux cas d’une révolution. Je pense qu’il faut conserver en partie le travail classique, sans le numérique, puisqu’il développe d’autres capacités, mais il faut dans le même temps que le numérique fasse partie du quotidien des élèves. L’un n’exclut pas l’autre, du moins pour l’instant. Peut-être que dans vingt ou trente ans, ou dans plus longtemps, on envisagera plus d’écrire à la main sur des cahiers. Mais pour l’instant, je pense que les deux systèmes réunis permettent efficacement aux élèves de progresser. 

 

 


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