[Interview] Pascal Bihouée évoque pour Educadis son expertise et les enjeux des TICE dans l’Éducation nationale

Publié le 07/04/2015 à 10:02

Pascal Bihouée est enseignant et écrivain, co-auteur d’Enseigner différemment avec les TICE. Il est adepte de la pédagogie numérique, pratiquant depuis plusieurs années la « classe inversée ».

Pascal a répondu aux questions d’Educadis sur son utilisation des TICE en classe, et sur sa vision des ambitions du gouvernement en matière d’enseignement numérique.

 

 

Vous êtes un partisan convaincu et reconnu du numérique appliqué à l’enseignement, avec notamment la classe inversée. Comment et à quel moment est né cet engouement ?

 

Je me suis toujours intéressé à deux aspects : l’utilisation des outils numériques au service d’un scénario pédagogique et en même temps une réflexion autour du positionnement de l’enseignant. Physicien de formation à la base, mes premières expériences de professeur ont été à l’université dans le domaine de l’informatique lors de la préparation de mon doctorat. J’ai eu ensuite l’opportunité d’enseigner en secondaire (lycée et surtout collège). J’ai rapidement constaté et compris les limites de l’enseignement « magistral traditionnel» dans certaines situations. J’ai ainsi commencé à développer des outils numériques favorisant les situations d’apprentissages pour les élèves, et rapidement mis en place des stratégies et des scénarii pédagogiques propices à un accompagnement et une mise en activité des élèves en classe.

 

Menant des expériences depuis près de 15 ans, participant régulièrement aux Forums des Enseignants Innovants organisé par le Café Pédagogique (et par ailleurs menacé, cette année), je me suis récemment retrouvé « repéré et catalogué » dans les pratiquants de la « classe inversée », « chose » que je pratiquais depuis quelques années.  

 

 

Certains professeurs notent des écarts parfois sérieux entre élèves pour la pratique de la classe inversée, avec des causes environnementales ou personnelles. Rencontrez-vous les mêmes problèmes, et quelles sont vos solutions ?

 

A partir du moment où nous sommes dans un dispositif de « classe inversée », l’enseignant se trouve dans une posture d’accompagnement d’élèves ou de petits groupes d’élèves. Cette proximité pédagogique présente des avantages certains : elle permet de répondre, dans la mesure du possible, aux problématiques de chacun, plutôt qu’un discours uniforme à toute la classe. Mais, beaucoup plus proche de la réalité et des élèves, le constat peut également être sévère : les difficultés de chacun, la véritable hétérogénéité des groupes sont mises en exergue, renvoyant ainsi l’enseignant à ses limites.

 

Le second obstacle à une bonne mise en place d’un dispositif de « classe inversée » est la difficulté liée à la modification de l’aménagement de l’espace-classe trop souvent devenu figé et configuré uniquement pour un enseignement « magistral ». Sans une véritable réflexion sur les lieux d’apprentissages, aucune évolution ne pourra être menée sereinement.

 

Enfin, ce changement de posture peut également déstabiliser parfois les élèves et l’enseignant trop souvent formatés dans un fonctionnement classique. Modifier et faire évoluer les comportements, les attitudes, les modes d’apprentissages, créer des situations de coopération, tout cela induit une prise de risque.

 

 

Quels sont les évolutions de réactions face à vos pratiques de l’enseignement numérique ? Du point de vue de vos élèves, des parents et également parmi vos collègues enseignants.

 

J’observe que la « classe inversée » est victime de clichés caricaturaux qui consiste à dire qu’il suffit de visionner des capsules vidéo à la maison puis ensuite de faire des exercices en classe pour faire des miracles. En réalité, pour moi, l’idée forte de la « classe inversée » est de modifier la posture de l’enseignant qui ne se réduit plus en un simple transmetteur de savoirs. Au contraire, il devient, en fonction des situations, un facilitateur, un catalyseur, un animateur, un accompagnateur, un « remédiateur ». Cela se défend et est, en général, très bien accepté par l’ensemble de la communauté éducative (élèves, parents et enseignants). Mais, il persiste encore et toujours l’idée tenace que le numérique est une affaire de spécialiste. Ce qui était probablement vrai il y a encore une dizaine d’années n’est cependant plus d’actualité. Même si la pratique d’outils numériques en classe exige bien sûr un accompagnement sur le terrain, il devient plus facile de mettre en place des dispositifs simples répondant aux attentes des enseignants volontaires et un brin curieux dans le domaine.

 

 

Malgré ses efforts, la France reste très en retard par rapport aux États-Unis, le Canada, les pays du sud-est asiatique, et de nombreux pays européens. Les réformes de l’éducation, contrairement à des nations comme la Finlande, n’ont jusqu’ici pas décisivement fait évoluer le constat. Comment expliquez-vous cet état de fait ?

 

Il est vrai qu’on cite souvent les pays scandinaves en exemple, notamment suite aux différentes enquêtes PISA, etc. Sans être un spécialiste, je crois savoir que le système de recrutement et de formation des enseignants diffère un peu du notre, privilégiant davantage la pédagogie que les champs disciplinaires. Il me semble aussi que, dans ces pays, le cadre soit moins rigide et favorise les initiatives et les projets d’établissements. De notre coté, même si cela évolue un peu depuis quelques années, l’Education Nationale peine parfois à repérer, encourager les expérimentations qui trop souvent restent à l’état d’initiatives personnelles ou locales. Les enseignants français ont souvent plein de bonnes idées, mais elles ont parfois des difficultés à être propagées, étendues, à passer de l’innovation à l’expérimentation.   

 

 

Le gouvernement de François Hollande, depuis la rentrée 2014, multiplie les confirmations à propos de son grand plan numérique, avec la perspective affichée de « la France à la première place du numérique ». Que pensez-vous de ce plan, et quels sont vos espoirs ?

 

La politique des grands plans d’équipements n’a que peu de chances de satisfaire tout le monde, les situations locales étant tellement diverses et complexes. Une initiative nationale ne pourra jamais complètement être en adéquation avec la réalité des pratiques quotidiennes des équipes pédagogiques. Même si, parfois, ce plan pourra être une aubaine, une opportunité, il va aussi modifier et bouleverser le quotidien des élèves, des enseignants, des parents, amener des questions, de nouvelles préoccupations, attiser des tensions liées à la maîtrise, au coût et à l’intérêt des Nouvelles Technologies, révéler de nouvelles problématiques (coût, équipement et maintenance au niveau des établissements, etc.).

 

 

« Tous les élèves de cinquième équipés de tablettes numériques à la rentrée 2016 », c’est le projet du gouvernement. D’aucuns redoutent déjà une nouvelle vague déferlante de matériels sans contrôle. Que penser de cet outil numérique, et de son application ?

 

J’expérimente l’usage des tablettes en classe depuis cette année. J’y trouve un intérêt essentiel lorsqu’il s’agit de mettre en place des situations de coopération. Je suis plus réservé lorsque chaque élève disposera de sa propre tablette. J’espère que cela ne va pas se réduire à un coup de communication. A-t-on réfléchi et préparé les élèves et les enseignants à la mutation pédagogique provoquée par ces outils ? Et, derrière cette initiative, d’autres intérêts : quel choix de matériels, de technologies seront laissés aux enseignants, aux établissements ? Actuellement, personne n’est, à mon avis, encore prêt pour gérer un usage quotidien des tablettes (usage pédagogique, infrastructure, débit, sécurité, etc.).

 

 

Quels sont vos projets, désirs ou espérances pour les prochaines années ?

 

Le sujet de l’évaluation est depuis des années un sujet qui me préoccupe. Je cherche et je teste encore de nouveaux dispositifs autour des compétences (il faut donner du sens à tout cela). L’évolution et la mutation des salles de classe est également un chantier pour l’avenir (je rêve encore d’une classe de collège aménagée comme une classe de maternelle).

 

Enfin, je crois davantage aux dynamiques portées par des équipes, des établissements pour avancer plutôt qu’à des décisions et des initiatives ministérielles ou gouvernementales. 

 

 

Merci à Pascal Bihouée d'avoir répondu aux questions d'Educadis.


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